Physique

Fleur n’a pas été laissée en vie pour rien. A dix-huit environ, c’est une jeune fille très séduisante qui va être présentée à la vente. Le corps svelte et souple, elle a une jolie peau pâle et presque sans défaut, à part quelques cicatrices discrètes sur les mollets et dans le dos. Ses cheveux dorés et très longs, légèrement ondulés, encadrent un visage à l’aspect doux et pensif, voir presque sévère. Ses yeux vert clair pétillent souvent de joie, et sa démarche, gracieuse, modeste, dissimule une grande fragilité à la cheville droite. D’une grande pudeur, elle a tendance à rougir facilement, et la peau de son visage se couvre de tâches de rousseur au moindre rayon de soleil, qu’elle a eu pour mission de protéger farouchement jusque-là. Quand on lui laisse le choix, elle aime à se vêtir de bleu ou de rose, privilégiant les robes longues couvrantes et les bijoux discrets.

Psychée

Enfermée loin du monde depuis toujours, Fleur connait avant tout son statut d’esclave et s’y conforme : il n’existe rien d’autre pour l’être humain inférieur qu’elle est, même si elle sait vaguement que quelques privilégiés ont accès à la vie éternelle grâce à leur mérite. D’une nature douce, très naïve, elle ne connait le monde extérieur qu’à travers les livres qu’elle a pu lire. D’une grande curiosité qui tourne à l’obsession, elle possède une très bonne mémoire, ce qui la sert autant que cela la désavantage, car elle a du mal à oublier ce qui lui a fait du mal. De fait, elle se montre très rancunière face aux offenses de ses pairs. Sans attache, sans famille depuis sa prime enfance, l’esclave se montre très sociable, et rêve par-dessus tout d’une famille et d’un clan auquel se rattacher : ainsi, quiconque lui démontrera de l’amitié ou de la bonté se l’attachera facilement. Intelligente et cultivée, elle aime passionnément s’instruire, gardant sa piété pour elle-même, dans le secret de ses pensées.

Pouvoir

Aucun.

Histoire

Des hurlements. L’odeur du sang, l’odeur de la fumée, âcre, piquante.

La fillette ouvrit vaguement les yeux. Regarda les autres enfants, qui se redressaient déjà à moitié, mal réveillés, effrayés, ébouriffés.  Incapable de bien comprendre ce qui se passait, elle tressaillit, poussa un hurlement tandis que la porte s’ouvrit à la volée. Les longs cheveux blonds de sa mère, ses bras qui la soulevèrent du lit, tandis que, dehors, les clameurs se faisaient plus violentes.
- « Viens, Isolde. Ferme les yeux. N’ai pas peur. »
Des mots simples, qui apaisèrent l’enfant. Sans bien comprendre ce qui se passait, elle se laissa emporter, sans remarquer l’épée dans la main de sa génitrice. Les hurlements s’intensifièrent, l’odeur de brûlé devint insupportable. Des gens, des voix connus, familières, crièrent à la fuite, de prendre les enfants, de courir. Elle continuait de fermer les yeux, aussi fort qu’elle pouvait. Il fallait fuir, avant que les vampires n’arrivent. Fuir. C’était tout ce qu’elle arrivait à comprendre – et puis on la plaça dans une cache noire et sombre, où on entreposait de la nourriture, bouchée par une grosse pierre, dans une fissure de la montagne sur lequel leur camp était installé.

Il ne fallait pas faire de bruit. Pas ouvrir sa bouche. Jusqu’à ce qu’on vienne la chercher.

Dehors, plus rapidement qu’elle n’aurait pensé, les clameurs s’arrêtèrent. Les méchants avaient dû finir par mourir ? Du haut de ses trois ans, elle ne savait pas quoi faire, s’agita un peu. Commença à grignoter un morceau de carotte, son esprit partant à la dérive, au fur et à mesure de ses rêveries enfantines.
Et puis, brusquement, la pierre fut retirée. L’air froid de la nuit la transperça, mais, un peu sottement, elle tendit les bras, pour se retrouver dans ceux de sa maman. Mais en lieu et place de la douce étreinte attendue, une main puissante s’enroula autour de son poignet, la tira dehors sans ménagement, la jeta dans la poussière. Un cri de surprise, de douleur. Des regards qui s’attardaient sur elle. Plus loin, des corps. Ils semblaient dormir à côté, rouges de sang qui s’écoulaient encore dans l’herbe. Des enfants plus âgés qu’elle, ceux qui avaient la dizaine d’années. Elle reconnut les cheveux blonds de sa génitrice. Un homme buvait au cou d’une femme. La guérisseuse.
Elle ne voyait rien d’autre. Une boule se forma dans sa gorge, les pleurs inondèrent ses joues. Des bras la saisirent sans ménagement, la posèrent sur l’encolure d’un cheval, contre un autre enfant. Elle pleura plus fort, grelottait de froid. Une femme jeta une cape sur ses épaules, lia ses mains à la selle. Elle était en bon état, il ne fallait pas gâcher. Des mots qu’elle ne comprenait pas bien, qui l’emplissait d’une terreur insigne – mais quelqu’un vint poser sa main sur son épaule, et ce fut comme si on lui posait un cataplasme sur la tête. Un sentiment de paix et de sécurité inexplicable l’envahit, et ce fut comme si tout allait bien à nouveau. La toute petite fille s’endormit rapidement, ballotée sur la selle où elle ne tenait calée que grâce à son petit compagnon.

***

Fleur s’installa docilement sur le tabouret, après avoir ôté sa robe de nuit.
Le moment tant attendu était enfin arrivé. Après quinze ans à appartenir à Maitre Drell, la jeune fille était impatiente de pouvoir sortir enfin de la demeure dans lequel il entreposait et éduquait ses esclaves. De la marchandise de luxe, voilà ce qu’elle était, mais la vie n’était pas si dure pour tout le monde. Elle était persuadée que le monde lui sourirait.

Bien qu’elle soit un peu âgée désormais pour être vendue, elle avait bénéficié d’une éducation soignée entre les mains de l’esclavagiste qui l’avait prise en charge, et qui avait effacé son nom, alors qu’elle venait tout juste d’arriver. Pas de luxe ici, dans ce joli manoir aisé protégé par des hommes d’armes vampires, rien qu’un dortoir où on les parquait le soir, dans une aile de la somptueuse résidence du vampire qui faisait commerce de leur chair. Mais la nourriture était abondante et toujours fraiche, et elles avaient toutes appris à lire, à écrire, à calculer, pour savoir comment tenir une maison. Toutes avaient appris la danse – conçue pour augmenter le désir d’un homme – mais le vrai atout de la jeune fille était son don pour la musique et sa capacité à apprendre rapidement. Sa vie était monotone, répétitive ; mais apprendre était sa passion, une passion brûlante, qui l’emportait au-delà de sa maison, au-delà de sa condition, dans un état second. Il lui était aisé de tout retenir, malgré la souffrance que lui procurait une parole blessante, un regard noir. Mais le maitre n’en avait cure, et il avait profité du don inattendu de sa petite fleur pour en augmenter sa valeur. Il lui avait fait apprendre deux langues de plus, l’avait initié aux mouvements des étoiles, lui avait fait apprendre des dizaines de chansons. Il avait encouragé sa curiosité insatiable, pathologique, en lui donnant l’accès à sa bibliothèque – privilège insigne qui lui avait valu jalousie et haine de la part de ses compagnes esclaves. Malgré les larmes qu’elle versait, elle était déterminée à profiter de chaque plaisir que l’existence lui procurait, à vivre chaque instant, à espérer que la roue tourne, qu’enfin, elle appartienne à quelque chose, comme dans une vraie famille.

Quelques mois auparavant, alors que le maitre ne l’estimait pas encore assez prête pour lui faire rencontrer les acheteurs potentiels, on avait essayé de la pousser dans l’escalier, alors qu’elle nettoyait le couloir.  La jeune fille n’avait rien vu venir. Contusionnée de partout, elle avait la chance de ne rien s’être cassée ; mais sa cheville avait été fragilisée. Mise au lit pour une semaine, elle avait été punie de rationnement, et la coupable n’avait jamais été retrouvée.
Fleur avait beaucoup souffert de ne pas avoir su qui était la coupable. Des rumeurs avaient couru, mais elle refusé de les écouter, sourde à qui avait bien pu lui vouloir du mal. Elle avait essayé de partager ses livres ; les autres filles avaient continué de lui tourner le dos.

Mais cela prendrait bientôt fin.
Assise sur son tabouret, elle se laissa mettre une tunique de soie translucide qui laissait entrevoir ses formes à la lueur des chandelles, natter ses cheveux blonds, dans lequel on avait mis des fleurs éparses. Un peu de parfum de rose derrière les oreilles, dont elle détesta l’odeur entêtante.
Bientôt, elle irait vivre ailleurs. Elle trouverait peut-être même la joie d’avoir une véritable famille, un vrai chez-elle.

Peut-être que tout se passerait bien. Et même : elle en était sûre.