Physique

Une envolée lyrique s'échappe des cordes de la harpe que pince de mes doigts fins. Les ongles limés savent les retenir pour obtenir le bon ton. C'est ainsi souvent que je me présente. Dans l'ombre des choses, procurant une distraction de fond.

Je ne suis pas ce que l'on peut appeler d'accorte. Certains ont loué ma beauté, mais c'était avant de me comparer à celle des créatures de charmes qui parcourent le palais. Je n'ai pas leurs généreuses gorges qui s'écrasent et se réhaussent dans les corset d'apparat. Non, je reste humble dans cet aspect. Je n'ai pas ces yeux aux milles couleurs des jolies favorites qui brillent de leur palettes opalines. Mes cheveux ne sont pas comme parcouru d'or. Mes joues hautes ne sont pas rouges de vie. Je n'ai pas le teint de porcelaine de ses poupées d'intérieur. Je suis bien plus modeste. Mes cheveux se parent d'une couleur sombre, agrémenté de quelques cheveux blancs, fils de soie discrets. L'on m'a dit que cela était courant. Ils tapissent mon dos jusqu'à sa moitié. Leur longueur est l'une de mes rares fiertés. Mes yeux sont d'un brun si foncés qu'ils s'assimilent au noir. Mon teint est façonné par le soleil de l'extérieur que j'ai longtemps parcouru.

Les vampires qui ont prit le temps de s'abreuver à mon cou, expriment mon sang comme iodé. Un petit goût de mer parmi le ferreur du liquide rouge.

Je n'ai pas le regard fuyant, ni même provoquant. Pas ce côté mielleux de certaines. Mes yeux expriment l'indifférence au monde qui m'entoure. Placide sans qu'il ne s'agisse de tristesse. J'ai plusieurs cicatrices toujours discrètes mais présentes. De celles que l'on remarque, il y en a une qui court sur ma pommette gauche tout son long. Une autre encore sur le galbe mon sein droit, visible par un décolté, un "X" gravé au couteau, par mon ancien maître. Lui pouvant que ma chaire lui appartient. Mon cou n'est pas exempt, simple abreuvoir, il garde des cicatrices de la répétition de ses morsures. L'intérieur de mes cuisses ne s'est pas vu épargné dans la violence des ébats que nous avions.

Mes lèvres peuvent être maquillées autant qu'elles le souhaitent, elle ne font que dissimuler une affreuse vérité. Dernière cicatrice léguée par mon ancien maître. Tare qu'il m'a imposé. Car sous leur chappe de chaire, ma langue m'a été sectionnée. Je ne puis de se fait plus m'exprimer par les mots. Alors c'est la musique qui s'accorde à mes émotions.  

Le lobe de mes oreilles sont percés pour que mon ancien maître puisse me parer à sa convenance. Mon corps élancé, permet à mon propriétaire d'y mettre les vêtements de son choix. Souvent, me disait-il que le noir lui est agréable à l'œil et se marie à mes cheveux. Haute d'un mètre soixante-seize, on me dit grande. Pourtant rares sont les hommes que je dépasse.

Psychée

La musique est mon refuge, la harpe est mon instrument de prédilection, mais j'ai de bonnes connaissances en violon. Les notes de mon instrument s'accordent souvent à mes émotions, comme si c'était à mon âme qu'il était connecté. Discrète, je sais m'éclipser lorsqu'il le faut. Je ne suis pourtant pas timide, lorsque l'on s'intéresse à moi, je réponds par le même intérêt, je ne suis pas une demoiselle qui rougit et tourne le regard dès qu'un compliment lui est adressé. Je ne m'enorgueillis pas non plus, la flâterie n'est pas une arme efficace sur moi. Bien qu'il faut le reconnaitre, il est toujours plaisant de s'entendre louer des qualités. J'espère être assez aguerrie pour me dire que derrière flagornerie, il y a intérêt caché. C'est possiblement mon ancien maître qui a fait grandir en moi cette méfiance dont j'ai beaucoup de peine à éloigner.

De part ma tare, cette parole qui m'est privée, je sais rester sur le côté. Mon avis n'importe peu, alors je ne cultive pas mon esprit, mi ma répartie. Je ne m'abaisse pas à essayer de communiquer par des charades mimées. Je ne suis qu'une esclave dans l'ombre. Qui obéit d'un claquement de doigt. Après tout, après son forfait mon ancien maître, n'avait-il pas prononcé avec une certaine fierté : " ainsi privé de la parole, te voilà parfaite ".

Certains auront cette bonne idée de me proposer un fusain et du papier pour que je m'exprime. Mais mes mots ne trouveront pas plus leurs places sur ce support. Je n'ai jamais à écrire. Et le dessin reste approximatif. N'y a-t-il pas pire tristesse que celle de ne se faire comprendre ?

Peut-être est-ce cette condition qui m'a rendu, dit-on, cynique. Je le sais, je ne serais jamais favorite. Mais j'aime cette région où j'ai grandi. L'odeur de l'iode porté par le vent. Bien que je ne sache pas nager, la mer m'apaise. Elle est ma source d'inspiration dans mes rares compositions personnelles.

J'en suis réduire à cette fatalité. Je mourrais quand ma beauté aura fanée, quand mon sang aura l'acre de la vieillesse. Alors en attendant, puisque le Cap est la capitale des Plaisirs, autant essayer d'en profiter. Le hasard me met sur la route d'un autre maître. Voyons ce qu'il m'offrira…

Histoire

Cela fait vingt-six ans que j'erre sur cette terre. Vingt-six années passées si vite. D'un battement de cil, les saisons se sont succédées. Certaines plus éprouvantes que les autres.

Sur mon enfance, il n'y a rien de particulier à dire. Je suis née d'un couple d'esclave Iona au cœur du Cap. Un père marin qui passait le plus clair de son temps sur les eaux tumultueuses. Et une mère créatrice de filets de pêche. Très vite on m'apprit à coudre et faire les nœuds nécessaires à la réalisation des filets. C'était une vie très simple. Le vampire qui nous possédait était un important. Il passait rarement nous voir.

Peu après mes 16 ans, de cette vie simple, le vampire qui était notre maître vient nous voir. Il me demanda à venir avec lui. Alors je m'exécutais.  Je pensais que ce serait l'affaire de quelques jours, mais plus jamais je ne reverrais mes parents ni mes frères et sœurs.

Mon maître, avait prévu de faire un cadeau à un autre vampire, en remerciement d'un service rendu. C'était là que j'intervenais. J'étais ce cadeau. Et je découvris comme cela mon nouveau maître. Monsieur Huguet Ancell.

J'étais presque ce qu'il voulait, la vigueur de la jeunesse, mais l'idiotie des familles rurales. Bien souvent il me comparait aux favorites de la cours des plaisirs, me reprochant mon corps aux formes moins développées.

Je fut formée à satisfaire les plaisirs charnels des vampires, tant hommes que femmes. C'était une autre vie. Et afin que je n'ai pas l'air d'une potiche les bras ballants, selon ses termes, il me fit apprendre la harpe. C'était bien la seule chose pour laquelle je lui serais toujours reconnaissant. Je me découvris une passion pour cet instrument,  et lui pouvait me faire jouer dans ses soirées.

J'étais devenu un accesoire de mode parmi d'autres. Une note de musique dans le fond, que l'on habille et déshabille à sa guise.

Ce fût ma vie jusqu'à mes 23 ans. 7 ans de loyaux services. Je m'en étonnais moi-même, mais la fin était plus facile. Il m'accordait bien moins d'attention, s'étant trouvé de nouveaux jouets avec lesquels il passait le temps qu'il désirait. Je n'étais plus qu'un tableau dans le fond. Un de ceux qu'on a tellement qu'on n'y fait plus attention. Planté dans le décors.

C'est peut-être à force de l'habitude de ne plus me remarquer, moi discrète harpiste, alors que les notes s'envolaient de mon instrument, ou le vin absorbé par le sang saturé d'un esclave, que ce jour là il ne fit pas attention à moi. Prit à partir avec un vampire de haute stature à la cours, il lui confia plusieurs de ses secrets. Une ruse d'un pouvoir Iona capable d'arracher la vérité ? Je n'en savais rien. Mais j'avais entendu ses choses. Ses choses qui pouvait mettre cet homme en disgrâce par rapport au prince des plaisir lui-même.

Ce ne fût que le lendemain qu'il réalisa son erreur. Me faisant venir au près de lui, il me demanda ce que j'avais entendu. Il se trouva que j'avais entendu beaucoup trop de choses à son goût. Pour me faire taire il employa une solution radicale… Non, il n'allait pas me tuer, mais me couper la langue.

Ce fût le moment le plus horrible et plus traumatisant de ma vie. Malgré toute ma volonté pour me libérer, il était trop fort. Son premier coup de couteau rougit pour cautériser arriva dans ma pommette, où j'en garde encore une cicatrice. Puis le deuxième vient sectionner l'organe. Seule sa prévention à chauffer la lame empêcha l'hémorragie. Mais la douleur était intense. Lancinante. Horrible. Mon cri avait déchiré une partie de la réalité.

Il me fallut plusieurs mois pour m'en remettre. Tant physiquement que mentalement. Quelque chose s'était éteint en moi ce jour là.

Depuis cet instant, il m'a renommé Patience. Quelle cruauté. Comment même contredire cela, alors que je ne puis donner mon prénom. Que ce soit par le dessin, les mimiques ou la parole.

Je le servis encore 3 ans. Trois pénibles années. Peut-être était-il rongé par le remord? Peut-être en avait-il assez de voir mon regard accusateur. Quoi qu'un en fût, ce jour-là, il se pavana au palais, et, coup de poker, proposa un jeu au prince Imshaël en personne. Un jeu à mise. Et sa mise était ma personne. C'était hardi, mais pas stupide, car cela attirait l'attention sur lui, et augmenterait sûrement ses ventes.

Il perdit la partie. Je changea de propriétaire pour le meilleur ou le pire.